Benoit Roberge – BIO
Conférencier, globe-trotteur, rider expérimenté, Benoit Roberge est un explorateur qui équilibre son goût de l’aventure et sa vie professionnelle d’ingénieur mécanique. La moto est son mode principal d’exploration avec 32 pays traversés sur 4 continents, sur route comme hors route. Il raconte ses récits aux passionnés de moto et lors d’évènements corporatifs ou publiques. Après avoir traversé la route de la Soie de la Grèce jusqu’en Inde, il se lance dans une aventure solo spontanée avec Zia, la moto qu’il avait achetée pour traverser l’Asie avec 2 amis. L’arrivée subite du climat hivernal venant d’être annoncée, il quitta le Québec in extrémis vers le sud dans le but d’atteindre un climat tempéré le plus rapidement possible. Avec sa planche de surf attachée sur le côté, son objectif était d’aller retrouver les vagues de la côte Pacifique et de continuer de descendre vers le sud, sans destination finale précise, quitte à laisser la moto quelque part en cours de route. L’aventure l’aura finalement mené jusqu’en terre de feu et tout autour de l’Amérique du Sud sur une épopée pleine de rebondissements qui aura duré près de 3 ans.
Suivez cette chronique dans laquelle il tentera de vous faire vivre quelques péripéties de cette aventure incroyable de façon authentique, comme si vous étiez dans son casque!
Chronique 1
Direction : Sud
Je me suis réveillé un matin avec LE « wake up call ». Pas le bip-bip de mon réveil-matin, celui-là je l’avais débranché lorsque j’avais quitté mon emploi un peu avant. Non, celui qui venait de l’intérieur.
La pandémie avait sûrement quelque chose à y voir, comme pour la plupart des gens d’ailleurs, mais j’avais clairement besoin de changement et ça, je le savais. L’équilibre était disparu. Peu à peu, ma vie était devenue fade, sans saveur. Mais ce matin-là, j’ai réalisé que j’avais une liberté que plusieurs enviaient : pas d’enfants, pas de blonde, même pas de chien à faire garder…, le mien était mort quelques mois plus tôt. Mais j’avais une moto, un immeuble à revenus et un état de santé impeccable. Qu’est-ce que j’avais besoin de plus ? « Mid-life crisis » ? Appelez ça comme vous voulez, mais l’aventure appelait et j’ai décroché.
J’avais acheté cette moto pour un projet un peu fou avec deux amis : parcourir la route de la soie, à partir de la Grèce jusqu’à l’Inde, en passant par la Chine. Nous en avions acheté 3 pareilles, question de pouvoir partager les pièces. Des motos simples, abordables, faciles à réparer et qui avaient de bonnes capacités hors route. On avait déjà passé pas mal de temps à rouler ensemble, ma moto et moi. Elle avait même un nom : Zia. Elle m’avait déjà amené dans des coins incroyables sur deux continents outre-mer et je me suis dit qu’elle méritait bien une autre aventure avant la retraite. Je lui devais bien ça.
Déjà novembre, le soleil commence à se faire rare. Les États-Unis viennent tout juste de rouvrir leurs frontières après presque 2 ans de blocage, et les jours sont comptés si je veux partir avant la neige. La fenêtre est étroite, mais c’est faisable. Pas de temps à perdre. Je remonte mon carburateur qui est en pièces sur l’établi et fait quelques vérifications rapides. Je ressors ma liste d’expédition et remplis mes valises : Kit d’outils, tubes de rechange, stock de camping, masque de snorkling, palmes… Destination finale ? On verra bien ! Mais, chose sûre, je me dirigerai vers l’océan Pacifique. Je pourrais ensuite longer la côte vers le sud et traverser à Baja au Mexique. L’idée m’inspire pas mal. En remplissant mes valises, je m’imagine rouler dans le désert à travers les cactus, vue sur la mer et musique dans le casque. Mais qui dit « Côte pacifique » dit « surf », et ça me semble bien difficile de m’imaginer passer à côté de toutes ces vagues sans pouvoir entrer à l’eau. Je dois absolument apporter un surf, sinon j’allais le regretter. Mais pour ça, je dois me fabriquer un rack, et vite.
Deux cadres de raquettes à neige en aluminium étaient accrochés au mur dans mon garage dans la section « Un jour, ça pourrait me servir à quelque chose ». Parfait, je peux faire quelque chose avec ça. C’est votre heure de gloire les raquettes, on s’en va à la plage !
Au lever du soleil, après une nuit blanche de préparatifs, j’ai sorti Zia du garage avec la planche de surf bien attachée à son nouveau support. Un look un peu douteux, mais c’était solide, et ce matin-là c’était la seule chose m’importait. Une tempête de pluie verglaçante venait d’être annoncée pour le lendemain et je devais devancer le départ. Last call avant l’hiver. C’était maintenant ou jamais. J’ai tourné la clé et laissé chauffer le moteur pendant que j’ajoutais des couches de vêtements. Double mitaines, couvre-bottes et veste chauffante. Il faisait -1 degré C.
Et j’ai pris la 40. Direction : Nouvelle Orléans. Et tout bonnement, juste comme ça, j’étais libre. Ce feeling-là je le connaissais bien. Celui du premier matin, du grand départ pour l’aventure. Prendre la route, changer les vitesses et atteindre le rythme de croisière avec les valises remplies de tout ce dont j’avais besoin pour être indépendant. Un rush instantané d’adrénaline que seule l’aventure à moto avait pu me procurer, toutes escapades confondues. Plusieurs personnes allaient me manquer et je le savais, mais ils allaient être encore là à mon retour. Zia allait me mener partout où mon instinct me guiderait, dans les sentiers, à travers les déserts, sur les plages et jusqu’au sommet des montagnes. Bientôt, je traverserai les bayous et j’irai voir des spectacles de blues dans les rues de New Orleans après avoir monté ma tente au bord du golfe du Mexique.
Mais j’étais encore loin de pouvoir planter ma tente. Je devais descendre au sud, et vite ! J’avais réussi de force à esquiver le verglas, mais je ne me doutais pas que, juste au sud des chutes du Niagara, les Grands Lacs étaient fins prêts à me recevoir. Un ciel menaçant s’était pointé au loin, droit devant moi. Je redoutais le pire, alors je me suis arrêté sur le bord de la route pour vérifier la carte radar sur mon application météo et voir ce qui m’attendait.
« ALERTE – ALERTE – ALERTE. Tempête de neige “lake effect” pour la région de Cleveland et Buffalo. Accumulation de plusieurs centimètres de neige par heure à prévoir […] »
Eh bien Cleveland, on va se reprendre. Nouvelle destination : Pittsburgh. Et comme de fait, de gros flocons se sont mis à me tomber dessus. Et rapidement, la neige s’est intensifiée et a commencé à s’accumuler en bord de route. Inutile de dire que la moto n’est pas le moyen de transport idéal pour traverser une tempête de neige. Il fallait bifurquer, pas le choix. Je n’atteindrais jamais la jonction d’autoroute vers Pittsburgh si je continuais en direction de la tempête. Et si j’étais forcé de m’arrêter pour la nuit, j’étais piégé. Zia se ferait ensevelir sous la neige dans le stationnement et dès le lendemain, ce serait la parade des déneigeurs dans les rues pendant que moi je serais coincé dans une chambre d’hôtel hors budget. Alors j’ai pris la première sortie et j’ai tant bien que mal fait mon chemin vers le sud, entre rangs de campagne et villages, pour finalement voir des éclaircies se pointer à l’horizon. Je suis finalement arrivé à Pittsburgh juste avant le coucher du soleil sur de l’asphalte bien sec. Rappel brutal : j’avais saisi la dernière opportunité de partir avant le printemps, et à quelques minutes près !
Et les jours suivant, j’ai continué à rouler vers le sud, la musique dans les oreilles, en retirant tranquillement des couches de vêtements au fur et à mesure que la température remontait. J’ai enfin pu commencer à camper, une sacrée bonne nouvelle pour mon portefeuille. Je n’ai pas manqué l’occasion de passer par le Tail of the dragon et le Barber motorcycle Museum, deux incontournables pour tous les amateurs de moto qui se respectent. Et j’ai finalement traversé les bayous avant d’atteindre la ville de New Orleans, où j’ai assisté à un spectacle de blues dans la rue. Objectif atteint.
Il me fallait ensuite rejoindre le Pacifique, alors j’ai repris la route vers la côte tout en prenant le temps d’explorer le Sud-ouest américain dont Sedona, le Grand Canyon, Zion national park, Las Vegas et le désert de Mojave, pour finalement arriver à Los Angeles et me rendre directement à l’océan. J’ai marché sur la plage de Santa Monica et je suis allé puiser un peu d’eau dans une tasse, puis je suis revenu jusqu’à Zia et j’ai rincé la poussière sur son pare-brise. Côte du Pacifique atteinte. Objectif numéro 2, « Check ».
Ensuite, j’ai suivi l’océan jusqu’à San Francisco au nord en profitant de l’occasion pour arrêter voir quelques amis au passage, puis redescendu jusqu’à San Diego au sud, juste à temps pour Noël. L’aventure allait bientôt prendre un autre tournant; j’avais bien atteint la frontière des États-Unis, mais en même temps les limites d’une société standardisée. J’allais traverser en zone « wild », un monde régi par d’autres règles et d’autres lois. J’étais arrivé au mur. Welcome to Tijuana, Mexico!