Chronique 3 de Benoit Roberge
À la découverte du GUATEMALA
« Señor! Tiene una llanta pinchada! » me lance un passant pendant que je chargeais les bagages sur la moto.
Hein ? Ah ben oui toi. Pas besoin d’être parfait bilingue en espagnol pour comprendre, rien qu’à voir l’état du pneu, que j’avais un flat. Disons que je me serais bien passé de ça, surtout ce matin-là. J’avais une frontière à traverser ! Avec l’habitude, on vient à savoir que les jours de passage de frontière, il ne faut pas planifier grand-chose d’autre. Ça peut être très rapide ou, parfois, on peut même y passer la nuit… Impossible à prévoir, mais le pire là-dedans, c’est que c’était un pneu flambant neuf que j’avais fait installer dans un atelier local le jour précédent. J’avais acheté le seul pneu en ville qui faisait à Zia, et j’avais fait le tour.
J’avais pourtant tout planifié en faisant livrer un pneu à mon hôtel, m’assurant de coordonner la réception avec le gérant au moment de ma réservation quelques semaines plus tôt. Un plan parfait, que je me disais. Mais non ! Quand je suis arrivé, ils avaient « perdu » mon colis… pour finalement le retrouver le lendemain, après que j’aie fortement insisté pour qu’ils cherchent un peu plus fort. Mais en l’ouvrant, nouveau problème… la compagnie m’avait envoyé la mauvaise dimension, ce qui m’avait forcé à mettre en place mon plan B. Et c’était juste un petit avant-goût de ce qui m’attendait pour les deux années à venir, parce que l’Amérique latine avait encore bien des tours dans son sac pour tester ma patience.
J’avais mis quelques jours de maintenance mécanique à mon horaire avant de quitter le Mexique, question que Zia soit dans un meilleur état pour entrer en Amérique centrale. Elle était due pour un bon checkup et je devais aussi installer un nouveau/vieux radiateur que je traînais sur le dessus de mes valises depuis quelques semaines déjà. En fait, j’avais dû faire un aller-retour d’urgence au Québec pour gérer un problème dans mon immeuble et j’avais ramené ce radiateur tordu qui était accroché sur le mur de mon garage dans ma fameuse section « un jour, ça pourrait me servir à quelque chose ». Bien tordu, mais pas très usé. L’histoire remontait à quelques semaines après l’achat de Zia, j’avais laissé quelqu’un l’essayer et il avait fait une chute du côté du radiateur. Les assurances avaient couvert le remplacement, bonne chose parce j’allais traverser certaines des zones les plus reculées de la planète quelques semaines plus tard en parcourant la route de la soie en Asie centrale et j’avais d’autres risques à gérer. Mais le fameux radiateur neuf était back order chez Kawasaki et je l’avais finalement reçu UNE semaine avant d’expédier Zia en Grèce, mais ça, c’est une autre histoire. Une fois détordu, il serait quand même plus fiable que celui-ci, qui avait recommencé à dégoutter même s’il avait déjà été colmaté à l’époxy à Baja. Et heureusement, j’avais choisi l’option « Retour en cas de sinistre » sur ma police habitation et ils avaient payé l’aller-retour d’urgence en avion au Québec. Je me serais bien passé de ça, mais au moins, j’améliorais ma situation du côté refroidissement moteur. Un mal pour un bien.
Pour l’instant, la priorité, c’est de réparer ma crevaison au plus vite et de prendre la route. Quelques petits coups de pompe à air dans le pneu pour lui donner un peu de rigueur et je suis de retour à l’atelier. Après un peu (beaucoup) d’obstinage, une nouvelle chambre à air est installée. Direction la frontière !
En arrivant au poste de douane quelques heures plus tard, je suis accueilli par des militaires cagoulés et armés de fusils d’assaut. Rien d’anormal en soit pour l’Amérique latine, mais le Chiapas est une région assez chaude par les temps qui courent et la zone est assez surveillée. Je ne suis clairement pas le touriste classique avec ma moto et ma planche de surf, mais de toute évidence rien de bien menaçant. Ils me laissent entrer dans la bâtisse pour commencer les procédures.
Pas de file, c’est bon signe ! Vérifications du passeport d’un côté, enregistrement de la moto de l’autre et c’est réglé. J’entre au Guatemala dans un petit marché bondé de monde. Nouveau continent ! Que buenoooo. Et c’est une première pour moi au Guatemala. C’est un peu comme je l’imaginais : les vêtements colorés, les habitants aux traits mayas bien marqués… le regard des gens me laisse croire qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des touristes dans cette région du pays. La place est bien occupée et un peu chaotique, l’ambiance typique des villages qui bordent les frontières. D’anciens bus scolaires multicolores débarquent les locaux au centre de la place du village, probablement le lieu de marchandage principal de la région.
Mais l’air de rien, il est rendu assez tard avec la petite péripétie de ce matin et la prochaine ville où je pourrais trouver un hôtel est à deux heures de route. Pas le temps de faire du tourisme. Un marchant au bord de la rue échange mes pesos en quetzales et c’est reparti.
À partir de là, le chemin s’enfonce directement dans la chaîne de montagnes de la Sierra Madre. Un paysage extraordinaire… Mais la route ?! Tout est défoncé ! Rien pour déclasser la route entre la frontière du Kasakhastan et Noukous en Uzbekistan, qui était un vrai carnage. N’empêche, les routes du Guatemala méritent définitivement une place au palmarès des routes nationales les plus maganées. Quelques dos d’âne ici et là, évidemment, mais rien d’alarmant. Ici on les appelle les « tumulos », la version locale des « topez » mexicains, les champions en titre du cassage de momentum.
J’avais déjà roulé un bon 300 km depuis mon départ de l’atelier ce matin, une distance normalement suffisante pour faire disparaître la cire de démoulage qu’on retrouve toujours sur les pneus neufs. Mais à la sortie d’un virage, un gros boeuf m’a fait la petite feinte de vouloir traverser quand j’approchais, et mon freinage brusque a confirmé que la cire n’était pas tout à fait disparue de la surface de mon nouveau pneu.
Comme si je venais de frapper une plaque de glace, le derrière de Zia se met à déraper vers la droite…ohhhhhhhhh ! Je relâche le frein… refreine un petit coup, et zwaaap ! ça swing l’autre bord ! Merde, ça n’annonce rien de bon. Relâche le frein une autre fois, refreine un petit coup… ça repart sur la droite ! Je sens que la catastrophe est imminente… relâche le frein… eeeeettt les 2 roues reprennent finalement leur place, un derrière l’autre. wooohhhhhhhhhh tout doux Zia, on se calme.
Entre temps, le boeuf avait eu le temps de changer d’idée, si c’en était une, et était resté sur l’accotement. J’avais évité le pire, mais je vous garantis qu’un triple swing droite gauche droite, on s’en souvient longtemps ! J’avais baissé la garde trop tôt… on va ajouter ça à la liste des leçons apprises.
Je suis arrêté au premier hôtel que j’ai croisé. Et le lendemain, une petite douche vite faite, chargement des valises et c’est déjà le temps de reprendre la route. En fait, le moins de temps je passe sous ces pommes de douche électriques suicidaires-là, le mieux je me porte ! Je ne m’habituerai jamais à prendre ma douche à côté d’un panneau électrique.
Mais de toute façon on m’attendait, chose plutôt rare dans ma vie de vagabond solitaire. Je m’étais inscrit à un cours d’espagnol privé d’une semaine et ça commençait le lendemain. J’avais fait mes recherches et avais déniché une petite école installée au bord d’un lac, dans le creux d’un volcan éteint, qui incluait un studio privé avec cuisinette, au bord de l’eau, vue sur les montagnes. Tout ça pour à peine plus d’une nuit à l’hôtel au Québec… on aime ça les quetzales !
Mais je devais m’y rendre. Pour descendre au fond du cratère, il fallait utiliser une route de montagne en épingle, bien à pic, qui aura d’ailleurs eu raison de mon frein arrière dès les premiers virages. Et pour ajouter au défi, mon roulement de direction qui s’est mis à figer. Mon guidon restait coincé en ligne droite jusqu’à ce que je mette assez de pression pour qu’il tourne, et ça partait d’un coup. Assez déstabilisant, disons. Et en sens inverse, il y a bien évidement le trafic qui remonte la pente, tant bien que mal. Les vieux bus colorés rugissent et boucanent tellement que je peux les voir venir plus bas dans la montagne. Ce n’est pas une mauvaise chose d’ailleurs, ça me permet d’anticiper un peu. Ils prennent souvent les deux voies dans les virages en remontant et moi, j’ai juste un frein avant et un guidon qui ne veut pas tourner. Pas idéal pour se faufiler un véhicule et une falaise à la dernière seconde disons. Mais au moins, pas de pluie ! J’atteins finalement le bord du lac sans incident, mais avec deux nouveaux items à ma « To do list » prioritaire : changer mon huile à frein et trouver un roulement de direction !
Pour ma semaine à l’école, j’ai emménagé dans le petit studio qui est situé à l’étage juste au-dessus de la terrasse qui sert de salle de classe. La vue de mon balcon est à couper le souffle et le petit village où je me trouve est bien sympathique. En plus, cette semaine-là, c’était la fête annuelle dans le village voisin de San Juan, le 24 juin. J’en ai profité pour festoyer avec les gens du coin et un ami québécois rencontré plus tôt au Mexique. Lui voyageait en campeur, un style de vie un peu plus luxueux que moi, disons. Des groupes traditionnels s’enchaînaient sur la scène principale, installée au milieu des stands, des roulottes-restaurants et des machines à popcorn. Plusieurs manèges à l’allure plutôt frêle étaient montés sur la place principale et j’avais décidé de me porter volontaire en tant que photographe attitré du groupe. Plus tôt je m’étais approché pour jeter un œil aux soudures de la structure de l’un des manèges de plus près… NOPE ! Je passe mon tour. Je vais me contenter de regarder en mangeant mon popcorn et en prenant des photos. Le lendemain, le journal annonçait qu’un accident avait causé la mort d’une personne et blessé gravement 2 autres dans un manège semblable, installé dans un village de l’autre côté du lac…
La route me mènera ensuite vers la belle ville coloniale d’Antigua où j’allais dormir au sommet d’un volcan, juste à côté d’un autre qui crachait de la lave aux 15 minutes dans des explosions spectaculaires. Un autre crochet sur la liste !
Il y avait encore beaucoup à découvrir au Guatemala… mais comme à chaque fois, il faut savoir partir. La route m’appelait et le temps était venu de traverser une autre frontière.
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